Ses pas restent marqués quelques instants sur le béton et bientôt déjà l’eau efface à nouveau ses traces. Il avance lentement sur la départementale,
ne croisant que quelques voitures seulement qui semblent l’ignorer, le
frôlant presque parfois, désireuses de l’emporter dans le vent qu’elles
entraînent à leur poursuite. Sa chemise, ouverte sur un t-shirt délavé,
et son pantalon lui collent à la peau, la pluie ruissèle sur son visage.
Ça n’a pas d’importance. Rien n’en a plus. Dans quelques instants la
gendarmerie se lancera à sa recherche. Personne ne comprendra. Non,
personne. Certains diront qu’il est devenu fou, qu’il n’a pas eu de
chance, et il y aura bien ces quelques empathiques pour dire que ça
n’était pas de sa faute. Mais le dire ne suffit pas à comprendre.
Personne ne comprends jamais véritablement cet Autre, différent et semblable, face à soi.
Il n’a pas cherché à essuyer ses empreintes, comme pour signer de son
corps entier l’unique moment de sa vie où il se sera affirmé, où il ne
se sera pas laissé faire et il profite maintenant de ces quelques heures
pour respirer, s’emplir tout entier d’un sentiment de liberté auquel il
n’avait jamais pu goûter avant. Pour la première fois, il n’a plus peur
de rentrer chez lui. Il est chez lui partout. La Bête est morte, le
Silence est rompu et lui renaît. Il est heureux.
Son corps
s’élève dans les airs, chaque goutte de pluie sur sa peau est empreinte
d’un sentiment de bonheur, celui de goûter un monde qu’il ne craint
plus. Il fixe le ciel, gris, uniforme, et il le trouve beau. Lorsque
son corps retombe en un choc sourd sur le béton, il ne l’a pas quitté
des yeux. Il est étendu dans l’eau, mais il n’a pas froid, il ne pense
plus qu’à ce ciel. C’est le plus beau des ciels.
La
pluie s’abattait sur le sol en un cliquetis doux, la route se
recouvrait d’une mince couche d’eau qu’aucun vent ne venait troubler.
Près d’une main inerte, un frémissement dans une flaque, et puis une
petite forme s’éleva, une tête aux traits indistincts mais féminin, deux
bras fins semblaient extirper du sol le reste d’un corps de pluie aux
jambes démesurées. L’apparition resta un instant immobile, fixant ce
corps étendu au sol auprès duquel s’agitait une femme qui ne semblait
pas la remarquer. Elle vit ces deux yeux éteints. La pluie ne les
brusquait plus, ils fixaient droit devant eux. Alors elle leva la tête
et elle aussi regarda ce ciel, son premier ciel. Gris et uniforme. Un
ciel de pluie qui s’écoulait avec douceur et chaleur sur sa peau. Peau
de Pluie s’éloigna, ses pieds, nus et liquides, se fondirent dans les
eaux des champs boueux.
Premier chapitre d'une histoire en neuf chapitres, réalisée dans le cadre de la réalisation d'un site, la suite disponible ici : https://peaudepluie.atavist.com/iletaitunefois
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